2011/03/11 – un géophysicien raconte son séisme

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Jean-Claude Sibuet, géophysicien français, était à Tokyo le jour du séisme qui a ravagé le Japon. Il a envoyé depuis l’aéroport de Tokyo ce témoignage.

Les 10 et 11 mars 2011, j’ai participé à un séminaire scientifique qui avait pour but de comprendre les mécanismes en jeux expliquant les séismes tsunamogéniques (responsables de tsunamis).
L’objectif majeur était d’établir l’état d’avancement des travaux relatifs à la compréhension des mécanismes à l’origine du tremblement de terre du 24 décembre 2004 qui a affecté le nord de l’île de Sumatra et le tsunami associé qui fît plus de 220 000 morts.

Parmi la trentaine de spécialistes réunis à l’Université de Tokyo et venus du Japon, des Etats-Unis, d’Indonésie, d’Allemagne et de France figuraient des sismologues, des géodynamiciens, des géophysiciens et des géologues marins, impliqués non seulement dans cette étude mais aussi dans l’étude des séismes des zones de subduction du Japon et de Nankai, zones d’études déclarées prioritaires par le gouvernement japonais à cause du risque élevé de séismes de magnitude supérieure à 8 et potentiellement tsunamogéniques.

Le 9 mars, jour précédent ce séminaire scientifique, les organisateurs du séminaire m’ont demandé de donner une conférence au JAMSTEC (équivalent japonais de l’Ifremer) situé dans la baie de Yokosuka, au sud de Tokyo, que j’ai intitulée « Un séisme destructeur avec tsunami associé pourrait se produire dans un proche futur près de l’île d’Ishigaki (située entre l’île d’Okinawa et Taiwan) ».
En effet, suite aux études géophysiques marines récentes que j’ai menées dans cette partie de la zone de subduction des Ryukyus en collaboration avec des scientifiques de Taiwan, je tenais à sensibiliser les japonais au risque potentiel majeur d’un prochain séisme tsunamogénique identique à ceux qui se sont produits autrefois, comme celui de 1771 dont la vague de tsunami haute de 30 m fit 12 000 morts sur l’île d’Ishigaki et les îles avoisinantes. Je ne pensais pas subir les effets d’un séisme comparable dans sa nature et ses conséquences dès le surlendemain.(graphique à droite, le séisme cartographié par l’IPGP).

Le 11 mars vers 14H50 heure de Tokyo, nos travaux ont été interrompus par les premières arrivées (ondes P, mouvements verticaux) d’un gros séisme.
Nous étions dans un bâtiment de l’Université de Tokyo construit en 2010 selon les normes parasismiques en vigueur, donc très sûr.
L’arrivée brutale des ondes secondaires de cisaillement (ondes S), m’a vite convaincu qu’il fallait sortir rapidement du bâtiment. J’ai dû me tenir à la rampe pour ne pas chuter dans les escaliers. Malgré un genou défectueux, j’étais le premier dehors.
Des centaines de personnes sortaient rapidement des bâtiments, dans le plus grand calme, et se regroupaient sur la pelouse, attendant patiemment les instructions des personnes en charge de la sécurité. Quelques minutes plus tard, alors que nous étions toujours dans la séquence d’oscillations des ondes longues de ce séisme, une première réplique de forte intensité se fît sentir. Je reconnaissais les forts mouvements verticaux des ondes P qui s’additionnaient à ceux du séisme précédent, puis les ondes S de cisaillement, très violentes. L’ampleur de cette première réplique me surprit.

Notez le décryptage sensoriel ” en direct ” des ondes sismiques par ce géologue ; les ondes P nous placent sur un trampoline ; les ondes S nous font tomber par cisaillement.

Les sismologues japonais faisaient déjà parvenir par internet, la localisation de l’épicentre du séisme à 130 km au large de la ville de Sendaï qui est à 350 km au nord de Tokyo. Ils précisaient par une première série d’estimations que la magnitude devait être de 7,8, ce qui m’a semblé sous estimé d’après mon expérience de Sumatra, que la profondeur du séisme devait se situer à une vingtaine de km, et qu’un tsunami de l’ordre de 3 m était prévisible, hauteur que je considérais d’emblée elle aussi sous-estimée. Dix minutes plus tard, les premières images du tsunami touchant la terre arrivaient sur les portables, suggérant déjà une ampleur du tsunami beaucoup plus importante que celle initialement estimée.

Zone impliquée dans le séisme du 11/03/2011

Une heure plus tard, les secousses devenant plus faibles, nous avons été autorisés à rentrer dans les bâtiments, pour récupérer nos affaires et partir. Le meeting était ajourné. Les trains étant tous arrêtés, je me rendis à pied à l’hôtel situé à 30 minutes de marche.
Après avoir envoyé quelques messages rassurants à ma famille, j’ai regardé le site de l’USGS (US Geological Survey) qui donnait une magnitude de 8,9 au lieu de 7,8, ce qui correspond à une énergie libérée plus de 30 fois supérieure à celle initialement estimée.
La distribution géographique des répliques montrait que la rupture initiale s’étendait sur 450 km, parallèlement à la zone de subduction et à la côte est du Japon, et qu’elle s’était propagée de part et d’autre de Sendaï, et au sud presque jusqu’à la latitude de Tokyo.
Une lecture attentive des caractéristiques de ces répliques, qui arrivaient avec une période moyenne de l’ordre de 10 minutes, me suggérait que ce que j’avais attribué à une très forte première réplique était en fait un séisme relativement proche de Tokyo et ayant probablement contribué à une partie de la rupture initiale.

Au cours de la matinée du 9 mars, 1orsque j’étais au JAMSTEC, un séisme de magnitude 7,2 a eu lieu à une quarantaine de km de celui de Sendai (aussi appelé séisme de Tohoku par les japonais). La terre tremblait, les rideaux des fenêtres oscillaient, mais rien à voir avec les mouvements déclenchés par le séisme de Tohoku du 11 mars. Les sismologues japonais se sont tout de suite posé la question de savoir si ce séisme n’était pas en fait un prémonitoire du séisme de Tohoku, autrement dit si ce séisme n’avait pas été à l’origine du déclenchement du séisme de Tohoku.
De même, les sismologues japonais se posent aujourd’hui la question de savoir si le séisme de Tohoku ne va pas déclencher dans les mois à venir le séisme tsunamogénique qu’ils redoutent tant, au large de la péninsule de Boso donc de Tokyo. En effet, comme dans le cas du séisme de Nias (25 mars 2005) dont la zone de rupture est immédiatement adjacente au sud de celle du grand séisme de Sumatra (24 décembre 2004), et aurait été déclenché par ce dernier, le séisme de Tohoku, ne va-t’il pas lui aussi déclencher une rupture majeure, dans la prolongation de celle du séisme de Tohoku ?

Au lendemain du séisme, l’estimation du nombre des victimes de l’ordre du millier de personnes est probablement très sous-estimée. Je rends hommage au comportement adulte, discipliné et exemplaire de tous les japonais, afin de minimiser les effets dévastateurs de ce séisme sur leur vie quotidienne et celle de leurs hôtes. Même à l’aéroport de Tokyo-Narita partiellement fermé suite aux dégâts du séisme, ce comportement exemplaire, associé à une anticipation raisonnée de telles situations, a permis une reprise progressive de l’activité aérienne et ce, malgré l’arrivée continue de répliques. Ni panique, ni bousculade, ni foule dense agacée par l’impréparation des autorités aéroportuaires comme celle que nous avons vécue fin 2010 à l’aéroport Paris-Charles de Gaulle, suite à des intempéries ma foi bien prévisibles, elles.

Aéroport de Tokyo, 12 mars 2011