Demain, tous mutants ?

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Par Julie Conti ; Le Temps.ch  24/09/2010

Tiré de la thérapie génique, le dopage génétique fait son apparition dans le sport. Les spécialistes s’accordent sur la possibilité prochaine, pour l’athlète, de programmer son corps en fonction des exploits à réaliser. Mais la technique est dangereuse. Enquête

Les athlètes de demain seront des mutants. Génétiquement modifiés, leurs organismes produiront eux-mêmes les substances dopantes susceptibles d’améliorer leurs performances.

Le Temps fait le point sur l’avancée de cette technologie.

Le dopage génétique, qu’est-ce que c’est ?

Il existe deux sortes de dopage génétique. Il est d’abord envisageable d’intervenir sur la fécondation et la genèse de l’embryon pour façonner un futur superathlète. Une « souris marathon », capable d’efforts deux fois plus prolongés que la normale a ainsi été conçue en 2004. Créer un superbébé n’est cependant pas à l’ordre du jour.

« Chez l’humain, ce n’est pas pour demain », dit Bengt Kayser, directeur de l’Institut des sciences du mouvement et de la médecine du sport (ISMMS) de l’Université de Genève. « Pour énormément de raisons d’ordre éthique, philosophique, religieux et de vision globale partagée en grande partie dans le monde. »

La deuxième voie consiste à modifier génétiquement un individu en lui incorporant un segment d’ADN pour obliger son corps à produire certaines protéines. Cette approche est développée depuis de nombreuses années par la thérapie génique dans l’espoir de guérir des maladies telles que les myopathies.
« On peut, par exemple, introduire un gène dans la séquence d’un virus et infecter la personne par injection ou par voie nasale, poursuit Bengt Kayser.
Les séquences génomiques du virus, liées à sa multiplication dans un hôte, vont multiplier le gène qui code la protéine désirée. Et enfin, cette dernière sera fabriquée par différentes cellules du corps. »
Il est théoriquement possible, avec cette méthode, de contraindre le corps humain à fabriquer davantage de fibres musculaires ou à produire des quantités importantes d’EPO.

A-t-il déjà cours ?

« Il est difficile de le savoir, car la technique n’est pas complètement au point », dit Claudio Tamburrini, ancien footballeur argentin et chercheur au Centre d’éthique des soins médicaux de l’Université de Stockholm.
« Mais ce qui existe à coup sûr est la volonté d’y avoir recours. »

Bien des indices vont dans ce sens.
Les scientifiques qui avaient fabriqué les « souris Schwarzenegger », rongeurs dont le corps fabriquait un volume de muscles beaucoup plus élevé que la normale, avaient été inondés de sollicitations de sportifs.
En 2006, le procès de Thomas Springstein, un ancien entraîneur d’athlétisme allemand, a démontré que celui-ci avait cherché à se procurer du Repoxygen. Ce médicament relevant de la thérapie génique n’a jamais été homologué. Il devait stimuler la production d’EPO par le corps.

Au niveau de l’offre, les pays qui fabriquent déjà clandestinement de nombreuses substances dopantes sont au coeur des soupçons.
Un journaliste de la télévision allemande ARD s’est vu proposer des traitements de dopage génétique en Chine, alors qu’il se faisait passer pour un entraîneur de natation. « Les Jeux de Pékin ont poussé le pays à lutter contre le dopage et je pense que la situation s’améliore, dit Bengt Kayser. Mais c’est probablement un endroit où il se passe des choses. Le gène doit être fabriqué en laboratoire et introduit dans la séquence d’un virus par des réactions biochimiques. C’est une cuisine de plus en plus maîtrisée, automatisée et industrialisée.
Quelqu’un qui a fait des études de biologie, ou de biochimie, et qui a traîné quelques années dans un laboratoire de génie génétique est capable de le faire. Toutes les connaissances nécessaires sont disponibles dans la littérature scientifique et sur Internet. Il est envisageable que des laboratoires clandestins, dans un garage ou une cave, puissent faire ce genre de choses. Ce n’est pas bon marché, il faut un appareillage, mais ce n’est pas si cher non plus. »

Sans contrôle antidopage, impossible de connaître l’ampleur du phénomène. « Si le recours à ce type de dopage existe, il est encore très ponctuel », estime le directeur du Laboratoire suisse d’analyse du dopage, Martial Saugy. « Il y a peut-être quelques endroits où on essaie des trucs, mais je pense que c’est insignifiant. »

A quoi sert-il ?

Claudio Tamburrini distingue cinq substances susceptibles d’améliorer les performances des athlètes.

L’érythropoïétine (EPO), est une hormone qui stimule la production de globules rouges. La production endogène (par le corps) d’EPO serait profitable à de nombreux sportifs d’endurance. « Les recherches ne mènent nulle part pour l’instant », estime Martial Saugy.

Le facteur de croissance insulino-semblable (IGF-1) est une hormone à effet anabolisant. Cette substance pourrait permettre à un sportif d’augmenter sa masse musculaire de 30% en quelques mois. « Cette thérapie génique est relativement sûre, car les effets sont localisés dans le muscle visé, dit Claudio Tamburrini. Les essais sur les êtres humains devraient commencer dans les prochaines années. »

Le facteur de croissance de l’enthothélium vasculaire (VEGF) agit sur les veines et facilite la circulation sanguine et l’oxygénation du sang. « C’est une des thérapies dont les recherches sont le plus avancées, poursuit Claudio Tamburrini. Elle a déjà été testée sur l’être humain. »

La myostatine régule la croissance musculaire. Des inhibiteurs de myostatine entraînent une augmentation du nombre de fibres musculaires et leur épaississement. Ce traitement est très attendu pour soigner la myopathie de Duchenne. Et pour faire tomber quelques records?

Les endorphines agissent sur le processus de fatigue du muscle qui produit de l’acide lactique. « Le soulagement de la douleur pourrait aider les athlètes à réaliser de meilleures performances ou à être plus endurants », indique Claudio Tamburrini.

Quels sont les risques ?

Les premiers essais de thérapie génique chez l’être humain ont eu de lourds effets secondaires, parfois mortels. Des tests menés sur des enfants-bulles, privés de défenses immunitaires, ont provoqué des leucémies.
« La liste des recettes de cuisine est longue, mais le plus souvent, la thérapie génique sera permanente et c’est un risque, dit Bengt Kayser. On ne maîtrise pas encore très bien l’amplitude de la production d’hormones. Si on injecte, avec un virus, la séquence de gène qui code l’EPO et que ça marche hyper-bien, une grande quantité de cellules dans le corps exprimera ce gène.
Cela entraînera une production énorme d’EPO avec des conséquences très dangereuses pour la santé. »

L’utilisation de virus comme vecteurs de la thérapie génique fait aussi craindre des risques de contagion. « C’est un des principaux problèmes que doit résoudre la thérapie génique », estime Martial Saugy. « Ce n’est pas un risque qui existe avec les laboratoires officiels mais avec les laboratoires clandestins qui veulent juste gagner de l’argent, il y a du souci à se faire. »
Si les modifications génétiques touchent des cellules germinales, la personne traitée transmettra la mutation à sa descendance.

Est-il détectable ?

Non. L’Agence mondiale antidopage (AMA) ne dispose pas encore de tests fiables.
« Pas mal de travaux sont en cours à ce sujet et sont actuellement discutés par l’AMA, dit Martial Saugy.
On devra se concentrer sur les substances anabolisantes comme les inhibiteurs de myostatine.»
Une des pistes, pour les instances antidopage, est de chercher la présence des virus qui auraient servi de transports à l’ADN. Mais le dopage génétique peut s’effectuer avec d’autres vecteurs.

Pour nous, l’approche longitudinale reste la plus intéressante, poursuit Martial Saugy. Cela ressemblerait au passeport biologique mais au niveau musculaire. »
La lutte contre le dopage génétique serait vraisemblablement très coûteuse et très invasive pour la sphère privée des athlètes. Les instances antidopage auraient notamment connaissance de leur patrimoine génétique.
Ne va-t-on pas trop loin au nom de la lutte contre la tricherie? « Le débat est ouvert et on en discute à tous les niveaux », reconnaît Martial Saugy.

« Pour que le passeport biologique soit efficace, il faut qu’il contienne un maximum d’informations et à un moment donné, il faudra mettre dans la balance l’intérêt personnel des athlètes. »
Selon le psychologue du sport et ancien footballeur Lucio Bizzini, les perspectives de la thérapie génique et la possibilité « d’amélioration » de l’être humain en général entraînent une remise en cause du bien fondé de la lutte contre le dopage.

« J’ai très peur des conséquences de la lutte contre le dopage dans la société en général, dit Bengt Kayser. Des voix s’élèvent pour demander des tests d’urine pour les étudiants et, au Danemark, le gouvernement fait pression sur des fitness pour qu’ils souscrivent à un label de qualité antidopage avec, à la clé, des analyses d’urine pour les adhérents.

Il faut que la société se prépare à mieux faire face à la révolution biomédicale qui nous amènera de plus en plus de possibilités d’améliorer nos performances. »